Extrait tiré du roman La Nuit des Griffons
L’ordre fut fondé en des temps sereins, en des temps par trop sereins pour qu’aucune guerre ne se préparât en secret. Défenseurs de l’Harmonie et de la création ils choisirent d’unir leur destin autour d’une même mission, une mission pour le bien de tous même si elle les devait entraîner en des voies sombres et écarlates. Jamais encore ils n’avaient perdu de frère de si vile façon, jamais les Écarlates n’avaient ainsi oser pérorer. Alors ils entamèrent ce qui pour eux devaient être l’ultime mission, leur dernière nuit.
Les eaux du défilé des chimères emportaient avec eux la nef où reposaient les corps de leurs frères tombés au combat. Sous le regard d’un dragon de lunes ils cherchaient, à l’ombre de ces terres, les silhouettes ennemies des légions kadiyars. Ces maudits fils de chiens avaient semé la mort parmi eux. Ils juraient, sur tous les dieux, de leur en faire rendre gorge. Dans la pâle lueur des trois disques d’argent ils levèrent leurs armes, éclairs étincelant dans la nuit, en un ultime salut. Haches épées, flamberges, cercles de combat et poings d’ours s’unissaient dans la furie vengeresse d’une même destinée.
La noirceur de leur vêture les dissimulaient aux regards indiscrets, gardant dans le secret des ténèbres leurs traits. Lever les armes ainsi était pure folie mais ils savaient leurs ennemis trop sots pour ignorer le piège. Alors ils demeurèrent immobiles, suivant du regard le vaisseau que la nuit dissimulait de son mantel. Une nouvelle étoile promptement éclaira la voûte constellée. L’un des archers avait succombé aux instincts de chasseurs qui les dominaient. D’un geste le maître des griffons esquiva le traits qui vint, à trente pas derrière lui, s’enfoncer de trois pouces dans les bois durs du chêne séculaire. Bientôt une autre flèche se brisa sur un roc non loin. Quatre autre traits manquèrent de les envoyer à la mort lorsque le plus imposant des griffons, écartant les pans de sa cape, révélant la fibule figurant un dragon de lune, prit au côté un flûte faite de roseau des marais.
À ses lèvres Umroal portait l’instrument, plaçait ses doigts puis fermait les yeux, cherchant dans les errances de son cœur les notes qui savaient dire tous les tourments de son âme. Les premières notes s’élevèrent, hésitantes, presque inaudibles. Un à un ils posèrent sur ses larges épaules une main fraternelle, honorant la mémoire des capitaines du funèbre vaisseau. Et le chaos des premiers instants se mua en une mélodieuse harmonie. Contre les écus frappant leurs lames ils l’accompagnaient au rythme de leurs ires ineffables, gardant derrière l’enclos de leurs dents toutes les malédictions qu’ils invoquaient.
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